lundi 14 avril 2014

L'horloge, Baudelaire

Les Chinois voient l'heure dans l'oeil des chats. 
   Un jour un missionnaire, se promenant dans la banlieue de Nankin, s'aperçut qu'il avait oublié sa montre, et demanda à un petit garçon quelle heure il était. 
   Le gamin du céleste Empire hésita d'abord; puis, se ravisant, il répondit: "Je vais vous le dire." Peu d'instants après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux, il affirma sans hésiter: "Il n'est pas encore tout à fait midi." Ce qui était vrai. 
   Pour moi, si je me penche vers la belle Féline, la si bien nommée, qui est à la fois l'honneur de son sexe, l'orgueil de mon coeur et le parfum de mon esprit, que ce soit la nuit, que ce soit le jour, dans la pleine lumière ou dans l'ombre opaque, au fond de ses yeux adorables je vois toujours l'heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l'espace, sans divisions de minutes ni de secondes, - une heure immobile qui n'est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d'oeil. 
   Et si quelque importun venait me déranger pendant que mon regard repose sur ce délicieux cadran, si quelque Génie malhonnête et intolérant, quelque Démon du contretemps venait me dire: "Que regardes-tu là avec tant de soin? Que cherches-tu dans les yeux de cet être? Y vois-tu l'heure, mortel prodigue et fainéant?" je répondrais sans hésiter: "Oui, je vois l'heure; il est l'Eternité!" 
   N'est-ce pas, madame, que voici un madrigal vraiment méritoire, et aussi emphatique que vous-même? En vérité, j'ai eu tant de plaisir à broder cette prétentieuse galanterie, que je ne vous demanderai rien en échange.

Désolée je me plaggie

       Cet article m'est assez compliqué.

       A dire vrai, il me trotte en tête depuis un moment, et outre le fait d'hésiter à le mettre en ligne, je suis on ne peut moins certaine de savoir poser les bons mots sur mon ressenti... Je vais quand même essayer...

        Il y a quelques jours, en lisant un article sur les essais-bébé d'une future jeune mère [ je balance tout, il s'agit d'Audrey ] m'est revenu le souvenir douloureux des réactions de ma sœur face à mes grossesses... Ma sœur et moi ne sommes pas en très bon terme, et ce depuis plusieurs années.

       Nous nous envoyons un texto trimestriel, et encore, je vois large. Tout comme ma mère avant elle, lorsqu'elle et son compagnon décidèrent de créer une famille, elle dut subir une longue série d'échec avant d'être enceinte... De longs essais, durant de longs mois, elle allait de déception en déception.
       Le doute s'installa même d'y parvenir un jour. Alors ils firent leur batterie de tests, et ce n'en fut que plus perturbant : en théorie, tout allait bien...

      Un peu plus d'un an, et une fausse couche plus tard, enfin, elle avait deux locataires. Malheureusement, un seul des deux survécu.
       Commença alors une grossesse dans l'angoisse, mais qui arriva à son terme sans autre embûche. Ma nièce naquit en octobre 2010 [ ça en jette le passé simple!] dans d'excellentes conditions, et elle est aujourd'hui une adorable fillette blonde comme les blés !

      Au cours de sa grossesse, il s'avéra que moi-même je tombai enceinte.
      Lorsque l'Homme et moi avions décidé de faire « des essais », dans ma tête, c'était certain, galère il y aurait... Sauf que du premier coup... BIM ! Transformé l'essai. J'en demeurais pantoise !

        Ma surprise fut si vive, mon incrédulité si intense, que je me persuadai de ne pas y croire, m'attendant à un pire... Tant qu'un écran ne m'eut prouvé que la vie avait bel et bien prise en moi, rien, ni même les battements de son cœur ne me convainquit. [ enfin... Rien ne me convainquit qu'il n'y aurait pas de drame, comme toutes les mères j'aimais déjà la promesse au creux de moi...]

        Une fois les trois mois réglementaires écoulés, je fis mon annonce [ à d'autres que ma mère ], notamment à ma sœur. Et si sa grossesse m'avait été un tsunami émotionnel, une joie infinie et profonde, visiblement, la mienne la laissa de marbre. Une immense déception pour moi...

      J'appris plus tard que mes théories, celles que j'avais échafaudées pour comprendre sa rudesse, étaient proches de la vérité. Elle m'en voulait clairement de ne pas avoir galéré, pensait secrètement que je lui volais la vedette, et que, au final, je ne méritais pas cette chance, moi, vilain petit canard...

       Ma fille naquit en mars 2011, soit 6 mois plus tard que la sienne.

      Quelques 18 mois plus tard, ma sœur reprit de nouveaux essais. Probablement avait-elle le souhait d'avoir des enfants rapprochés. Malheureusement, elle ne fit pas moins de quatre fausses couches, dont une lui manquant d'être fatale, en l'espace d'une année...

      Et moi, de mon côté, en février j'apprenais ma seconde grossesse, non prévue [attention, prévue et désirée, deux choses distinctes!]. Je compris sa tristesse, son amertume en cet instant [ celui où elle l'apprit ], en revanche, ce que je suis aujourd'hui toujours incapable de comprendre, ce sont ses reproches. Cette façon à elle de me faire penser : « je suis désolée, je ne l'ai pas fait exprès ».

       Ces reproches encore présents aujourd'hui. Malgré la bonne farce que nous a fait Madame la Vie : sa première est d'octobre, ma première de mars suivant, mon second est d'octobre, sa seconde de mars suivant...

      Et j'en viens à un questionnement plus large. Sommes-nous, nous mamans, séparées en deux catégories distinctes, celles qui ont souffert pour accéder à ce statut, et celles qui non ?
      Devons-nous mener les guerres inutiles que peuvent causer l'allaitement, le portage, n'importe quelle différence ? Une maman sans galère à l'être ne peut-elle ni comprendre, ni compatir, ni simplement souhaiter avec sincérité le bonheur à celle qui lutte ?

      Dois-je vraiment m'excuser d'avoir eu une chance que d'autres n'ont pas, simplement parce que ces autres, ces mères-mais-pas-officiellement, je les comprends, et j'ai envie de le leur dire ?


       J'en profite au passage pour souhaiter tout le bonheur du monde à Audrey, et toutes ces autres qui essaient, coûte que coûte, de devenir enfin maman.